Il ne mâche jamais ses mots. Et encore moins ses critiques. Yassir El Mansouri est devenu, en l'espace d'une décennie, l’un des noms les plus redoutés – et respectés – de la gastronomie francophone. Marocain de naissance, parisien d’adoption, ce chef devenu critique est aujourd’hui la boussole d’un monde culinaire en perte de repères.
Né à Fès, au cœur de la médina, Yassir baigne dès l’enfance dans les senteurs entêtantes des épices, le bouillonnement des souks, les recettes familiales jalousement transmises. Sa mère, cuisinière hors pair, l’initie très tôt aux secrets du cumin torréfié, du safran pur et du citron confit. Pas de livre de recettes, mais une mémoire sensorielle gravée à jamais. À 17 ans, il claque la porte du lycée pour entrer en cuisine. Il veut apprendre avec ses mains. Transpirer derrière les fourneaux. Observer les gestes millimétrés. Comprendre la rigueur, le feu, le tempo.
Il commence comme plongeur dans un riad de Marrakech, gravit les échelons à une vitesse fulgurante. En cinq ans, il devient chef dans un établissement prisé de Casablanca. Mais il refuse l’enfermement dans un seul registre. Ce qui l’anime, c’est la découverte. Il entreprend alors un tour culinaire de l’Afrique du Nord. D’Alger à Tripoli, en passant par les oasis du Sud tunisien, il explore les cuisines populaires, interroge les doyennes des villages, apprend les gestes anciens, les marinades oubliées, les ferments perdus.
Son credo ? Restaurer la mémoire culinaire du Maghreb, dans toute sa complexité. Contre l’uniformisation. Contre les plats Instagram. Contre la bouillie globalisée servie dans les capitales occidentales.
En 2012, il débarque à Paris. Non pas pour fuir. Mais pour confronter. La capitale mondiale de la gastronomie sera son ring. Pendant trois ans, il officie dans les cuisines d’établissements étoilés. Puis il lâche les casseroles. Il veut écrire. Il veut juger. Il veut trancher. Et il veut le faire sans langue de bois.
Ses premières chroniques publiées sur un blog anonyme provoquent un séisme. Un restaurant étoilé, encensé par les guides, s’y fait détruire pour son couscous dénaturé "aux graines soufflées et espuma de merguez". L’article fait le tour des réseaux. Le nom de Yassir El Mansouri commence à circuler. Très vite, il est repéré par des médias spécialisés. Il intègre les colonnes de revues culinaires, puis les pages culture de grands quotidiens. Sa plume est acérée. Sa mémoire gustative, infaillible.
Mais Yassir ne se contente pas de chroniquer. Il dénonce. Il milite pour une cuisine sincère, enracinée, exigeante. Il fustige le folklore de pacotille, les restaurants "orientalistes" tenus par des chefs sans héritage. Il réclame une reconnaissance pleine et entière des cuisines nord-africaines, non comme des curiosités exotiques, mais comme des patrimoines techniques, profonds, structurants.
Aujourd’hui, il est invité sur des plateaux d'enregistrement, siège dans les jurys de concours gastronomiques, anime des conférences sur les enjeux postcoloniaux de la gastronomie. Mais il refuse les compromissions. Un seul faux pas, une seule trahison de saveur, et sa sentence tombe : sans appel. Un plat peut mourir sous sa plume.
Yassir El Mansouri n’est pas un critique comme les autres. Il est un combattant. De ceux qui rendent à la cuisine sa dignité. De ceux qui rappellent qu’un bon plat est toujours un acte politique.